par Jean Rousselot, Collection « Poètes d’aujourd’hui », Ed. Seghers, 1957
La Rue, où Fombeure poussa son premier cri à la saison des prunes et des vendanges était un hameau à deux feux ; y habitaient d’une part le grand-père Jacques Fombeure, de l’autre, l’oncle et la tante Bouillaud et, dans la même maison, Louis et Juliette Fombeure, les parents de Maurice. Louis Fombeure, je l’ai bien connu, était un homme robuste, coloré, républicain « comme on n’en fait plus», plein d’une autorité patriarcale, mais vif autant que bon, au demeurant très fin. Je l’ai entendu, en 1936, découvrant au haut du clocher un drapeau rouge murmurer, en se caressant la barbiche: « ceux que ça gêne n’ont qu’à l’enlever ». Maurice appelait son père «le Caïd» et ne s’est jamais senti plus heureux que le jour où, dans le vacarme et l’odeur entêtante de la scierie, le Caïd lui a dit, après avoir lu La Rivière aux oies : « C’est bien, Maurice, tu as eu de la mémoire ». Louis Fombeure, qui aimait le bois pour le bois, pour ses copeaux de miel, son écorce à bateaux, sa poussière d’or, aimait aussi le travail bien fait ; au Lipp, où Maurice l’avait amené un mercredi soir, parmi toute une clique de bruyants poètes, je le revois, digne jusqu’à la noblesse dans son costume noir de villageois qui s’endimanche, apprécier de l’œil et de la main les céramiques signées Fargue (le père de Léon-Paul) qui revêtent les murs de la brasserie.
« Grand forestier », prud’homme, maire de Bonneuil-Matours et parfait artisan, le Caïd est mort le 24 novembre 1956; je ne crois pas que Maurice guérisse jamais de cette mort. Pas plus qu’il ne guérira de celle de Juliette Daillet sa mère (« daillet » signifie faucheur – celui qui tient le « dail », en poitevin), décédée treize jours après lui avoir donné la vie. Mis en nourrice à Liniers, à quelques kilomètres de Jardres, Maurice faillit y mourir. Alors, sa grand-mère, Eugénie DaiIlet, et son grand-père, Alphonse Daillet, le prirent avec eux à Ogeron (commune de Bonneuil-Matours) et le confièrent à une autre nourrice, la « mère Billoux », qui le sauva. Son père vint peu après se fixer à Ogeron, avec les grands-parents.